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L'aviron

 

 

 

Gérard a décidé d'offrir un lifting à sa “Lady Maud”, respectable cotre aurique avec mât de flèche, sorti en 1907 du chantier Luke Brothers.

 

Curieux de nature, j’assiste en spectateur au début des travaux, puis peu à peu, me mue en arpète et prête, à la demande, une main peu expérimentée.

 

Au fil des jours, Gérard et Vincent m’initient à quelques petits exercices, et tout va pour le mieux en ces temps de canicule. C’est ainsi que peu à peu, je parviens à maîtriser l’encollage des flipots, la taille et la pose des pinoches, et autres menues bricoles…

 

De passage chez des voisins, je fais part de mes nouvelles occupations, sinon de mes nouveaux talents et me vois bientôt proposer la remise en état d’un superbe aviron creux en bois. Rendez-vous est pris à Kerentré, et Gérard, devant la qualité de l'objet, en accepte la réfection.

 

La pièce présente deux fissures longitudinales. Peut-être qu’un simple encollage et une mise sous presse suffiront à redonner une nouvelle jeunesse à ce malheureux espar ? Las, une fissure présentant fatalement des extrémités extrêmement fines, interdit l’introduction optimale de colle in situ.

 

Devant ce diagnostic, Gérard préconise donc un flipotage (pratiquer dans l’objet une entaille englobant les dommages, puis insertion d’une baguette de bois encollée, aux dimensions exactes de ladite entaille).

 

Ce bel ouvrage terminé, il faut donner un aspect flatteur à cette magnifique œuvre d’art en la revernissant,

    - Et tant qu’à faire, pourquoi pas la paire afin d’éviter toute disparité visuelle, me glisse Gérard.

 

C’est ainsi que mes cours de vernissage ont commencé…

 

La chose m’est présentée comme une simple finition à la portée de n'importe quel quidam :

    - Un coup de ponçage, quelques couches de vernis et ce sera magnifique !

 

Confiant en ces bonnes paroles, je me vois confier un bout de papier de verre, et les conseils me sont prodigués par Gérard et Vincent au gré de leurs passages devant mon petit chantier :

    - Attention, pas trop fort, il ne faut pas faire de méplat

    - Essaie un autre grain

    - Enroule ton mouvement

    - Attention à ne pas abimer les angles

    - Evite la cale

    - Tu devrais prendre une cale

    - …

 

Malgré ou grâce à ces conseils avisés, vient enfin le moment du vernissage !

C’est ainsi que j’ai pu constater qu’il y a deux façons d'étaler la mixture : soit il n’y en a pas assez et on a un aspect “peau d’orange”, soit on en met un peu plus et on a des coulures !

Après le passage de deux couches diluées, il appert une nette différence de teinte entre les deux avirons, probablement due au vernis antérieur. 

 

    - Ne t’inquiète pas, me dit Gérard, une couche légèrement teintée pour rattraper et ce sera parfait !

 

Me voilà donc, mon pot de verni teinté d’une main, mon pinceau de l’autre devant le plus pâle, et j’étale…

Las, est-ce le stress, une mauvaise dilution, mon inexpérience ? De lugubres coulures brunes se dessinent bientôt sur les flancs de ce pauvre aviron. J’ai beau essayer de les rattraper au pinceau : je ne fais qu’écraser ces gouttes qui commencent à se gélifier !

 

Je suis ulcéré,  et mes deux mentors hilares, en ajoutent et rajoutent quelques couches en m’assurant qu’ils n’ont jamais vu ça, que ce n’est même pas dans le manuel, pas même dans les bêtisiers de YouTube. Merci les gars pour la miséricorde !

 

    - Compte-tenu de l'épaisseur des coulures, me susurre Gérard, tu peux attendre une bonne semaine avant de pouvoir poncer.

 

Deux jours plus tard, me voyant me morfondre devant le spectacle désolant de mon manque de savoir-faire, Gérard  me suggère la solution ultime : le décapage !

 

Tout heureux d’effacer toute trace ignominieuse, je me rue sur le pot de diluant, puis gratte jusqu'à l’os ces foutus bouts de bois !

 

Voilà ! Je repars à zéro, mais sur des bases saines. D’ailleurs après deux couches diluées, plus de différence de teinte, et le moral remonte.

 

    - Maintenant il va falloir ajouter plus de matière si tu veux éviter la peau d'orange et avoir un joli résultat, me dit Gérard.

 

N’écoutant que Gérard et mon courage, tremblant, je trempe l’extrémité du pinceau dans ce produit retors, et étale généreusement le machin sur l’objet de mes tracas. 

Joli ! Lissitude, reflétude, rendu sublime des courbes délicates, nickel ! Vite, continuer à promener le pinceau sur les parties verticales afin d’éradiquer toute velléité de coulures. Nous verrons le résultat demain matin. 

Et maintenant, j’ai bien mérité mon petit rosé en compagnie de mes deux compères.

 

Le lendemain, j’arrive prêt à recevoir mon brevet de vernisseur premier degré, lorsque j’aperçois Vincent, l’air goguenard, secouant la main d’un air entendu…

Pas besoin de dessin : attendre quelques jours, poncer et recommencer. Les lauriers, ce sera pour plus tard…

 

En fait, les dégâts ne sont pas si irrémédiables que craints. Un ponçage vigoureux, et je pourrai retenter ma chance.

Afin de mettre toutes les chances de mon côté, je fais l’acquisition d’un pot de vernis neuf, d'un pot de diluant ad hoc de la même marque, me procure un pinceau irréprochable et profite lâchement d’une absence de Gérard afin d’éviter les commentaires désobligeants éventuels.

 

Miracle ! Le lendemain matin, le résultat est toujours acceptable. Plus que quelques couches et ce sera parfait.

 

Las ! Le ciel est contre moi : au moins une semaine de pluie prévue !

 

Ce n’est pas possible, je ne peux attendre si longtemps. Je ne vois qu’une solution : m’installer chez moi, dans le salon, près de la cheminée.

 

C’est alors qu'examinant de plus près mon œuvre, je découvre des micro aspérités. Probablement des poussières glanées dans l’atelier ouvert à tous vents, pensé-je…

 

Le remède est simple : léger ponçage et une nouvelle couche, et… raté. Les petits grains sont toujours là ! Ayant éliminé les poussières mises en cause, j’incrimine des micro-bulles.

Je questionne Mr Google, et je constate que ce défaut est  récurrent (même pour le vernis à ongle), mais ne semble pas avoir trouvé de solution.

 

Diantre ! Fichtre ! Morbleu ! Palsambleu ! Bigre ! Cornegidouille ! etc… D’où vient le problème ? 

Le lendemain matin, après une nuit de conseils, illumination : et si c’était le pinceau ?

Je m’empresse d'étaler une couche plus ou moins uniforme au couteau, sur un morceau de bois qui traînait. Quelque temps plus tard, examen : surface bosselée mais brillante, et… pas de bulles !

Le coupable est démasqué, ce maudit pinceau, ce pelé, ce galeux, d'où venait tout le mal. Mais par que faire ?

Le soir même, devant un petit vin chaud, brainstorming avec Gérard et Vincent. Par quoi remplacer ce pinceau source de tous ces maux ? C’est alors qu’un de mes deux acolytes évoque l’existence de pinceaux en mousse. Ils ne semblent pas croire au bien fondé de cette technique éventuelle, personne ne fait ça…

 

N’ayant rien à perdre, je me procure dès le lendemain un assortiment de cet ustensile, et tente à nouveau ma chance. Impeccable, j’ai trouvé LA solution. Le pinceau conventionnel emprisonne de l’air entre ses poils et dépose de petites bulles sur le support. Avec la mousse, plus de problème.

 

Le cœur serein, je peux terminer mes deux avirons. Le fruit de mes efforts est à nouveau dans l'atelier de Gérard, attendant son retour pour une remise en grandes pompes à son heureux propriétaire.

 

Gérard conscient de mes progrès, vient de me confier la réfection de l’aviron offert par l’équipage du Clémenceau. Joli bébé de plus de cinq mètres en frêne, d’un seul tenant, et plus de 10 kilos !

 

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Commentaires: 5
  • #1

    PBories (mercredi, 07 décembre 2022 17:13)

    Qui veut la fin , veut les moyens ! Magnifique résultat où le pinceau mousse est nécessaire mais non suffisant ! Et comment ne pas admirer la belle langue du conteur !

  • #2

    Babette (mercredi, 07 décembre 2022 17:17)

    Les efforts sont récompensés ! On apprend à tout âge !!! Moi je dis, que toute œuvre d'art mérite un vernissage !!! Lilette, venu passer un weekend à la maison, voulait passer du vernis sur toutes nos surfaces en bois en nous faisant remarquer tous les défauts, de son œil d'expert !!! Bravo.

  • #3

    Les rameurs du 6 (jeudi, 08 décembre 2022 11:09)

    Bravo Tonton pout tant de persévérance! Le club d'aviron de Saint Cassien t'embauche sur le champ: nous avons 12 paires de pelles à recouvrir...

  • #4

    Joël du bout du bout (jeudi, 08 décembre 2022 17:56)

    Ramer pour un aviron c’est pagaie !
    Des bulles ou une petite mousse , c’est le choix pour savourer son apprentissage

    Bonnes fêtes

  • #5

    Gérard (samedi, 10 décembre 2022 17:48)

    Bon, alors, une fois cet examen de passage "brillamment" réussi, la période probatoire est achevée, nous allons pouvoir passer aux choses sérieuses sur Lady-Maud :
    Bancs de cockpit, hiloire, clairevoie, descente, capot de soute à voile, capot de poste avant, plat bord, pavois et liston, annexe (avec ses avirons).
    Plus quelques menus travaux : poulies, barre, mât de pavillon, gaffe...
    Ensuite il ne restera plus que les espars, un simple rafraichissement (3 couches)
    ... avant de passer à l'intérieur.
    Tu vas te régaler !