· 

Chez Adèle

Enfin les années lycée sont terminées !

 

Jusqu’à présent, mon horizon se bornait à l’obtention des deux bacs. Oui, à l’époque nous passions deux bacs complets : l’un en première, concluant la fin des études secondaires, et le second donnant accès aux études supérieures. C’était peut-être un peu lourd, mais intelligent : il y avait moins de chance d’encombrer les amphis d’étudiants n’ayant rien à y faire. L'échec en études supérieures devait plus alors, au manque de motivation qu'au potentiel intellectuel. Qui a parlé de sélection ?

 

Mais que faire maintenant ? Vers quelles études me diriger ?

Conseil de famille à trois : ma mère (au foyer), le mari de ma mère (pharmacien-biologiste), et moi-même.

L’option d’instituteur à Tahiti ayant été vigoureusement repoussée par mes parents pour je ne sais quelles obscures raisons, j’envisageai alors une profession libérale et plus ou moins médicale. 

    • Pharmacie ? Bof ! 

    • Médecine ? La longueur des études me semblait rédhibitoire.

    • Dentaire ? N’ayant jamais mis les pieds dans un cabinet, je n’avais aucune idée préconçue, mais la durée mesurée des études et les on-dit sur le rapport qualité / prix de la profession emportèrent ma décision. Va pour dentaire…

 

D’autant que la rue ou se situait l’École Dentaire envisagée, "La Tour d'Auvergne" (ou vicomte de Turenne dont les dents furent vendues au détail à la Révolution, joyeuse époque), donnait dans le haut de la rue des Martyres, à deux pas des places Pigalle et Blanche, et du Moulin Rouge. Lieux un tantinet sulfureux et donc bougrement dignes d’intérêt.

 

Une autre partie des cours se tenait à la fac des sciences, qui longeait le Jardin des Plantes, et qui squattait une partie de la Halle aux Vins en compagnie d’un coq dont le chant conquérant narguait mon ennui pendant les TD d’histologie.

 

Après examen des lieux, je ne tardai pas à établir mon quartier général dans deux cafés : le premier rue des Martyres, et surtout le second : "A l’Écureuil" dit "chez Adèle", sis devant l’entrée du jardin de Plantes.

 

"Chez Adèle !" Cri de ralliement de tout temps plus ou moins mort.

 

En entrant, on était accueilli par un intense brouillard nicotinique, une bande de jeunes "étudiants" agités, des conversations enlevées, le bruit d’un baby-foot malmené, et le son d’une guitare qui selon l’interprète déversait du classique, du blues, de la country, ou de la musique sud-américaine, tentant avec peine parfois de suivre les variations aléatoires d’une kéna.

 

Adèle, la tenancière de ce qui me semblait être un petit paradis, régnait l’air dominatrice en jupe de cuir noir, sur tout ce petit monde. Gare à ceux ou celles qui contrevenaient à ses diktats : je l’ai vu plusieurs fois prendre derrière son comptoir, puis venir déposer avec force, un surréaliste et imposant phallus en plâtre peint sur la table de donzelles récalcitrantes.

 

Je coulais en ce lieu des jours heureux, m’initiant à mes premiers accords de guitare et couinements de kéna, mais étant sursitaire en cette époque de désordres en Algérie, je me devais d’avoir un minimum de résultats universitaires. Sinon...

 

Je passai ainsi deux années, parfois rongé de remords. Mais la crainte d’un voyage vers le Maghreb, me poussa non sans regret, à émigrer à la fac de Nantes, afin de reprendre mes études loin de ce lieu de perdition !

 

C’est ainsi que j’ai loupé le "chanteur" Antoine arrivé en ces lieux l’année suivante, durant laquelle fut élaborée l’œuvre mémorable et collective d’un troquet en délire : "les Élucubrations d’Antoine", puis les festivités parisiennes de mai 68, mais j’ai ainsi pu faire la connaissance de Toutoune.

 

Mai 68 ! Un jour, il faudra que je vous en parle…

 

Écrire commentaire

Commentaires: 1
  • #1

    Babette (dimanche, 12 décembre 2021 20:49)

    C'est comme les chapitres d'un livre, on découvre au fur et à mesure les petites histoires de la vie de Lilette. J'aime.