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Les vacances

Le rêve de ma maman était d’avoir une fille.

 

Manque de chance pour elle, je suis arrivé, et comme vous vous en doutez, elle fut un peu déçue. On me prénomma Alain, mais elle transforma ce charmant prénom en Lilete, et me laissa pousser les cheveux (anglaises sur les épaules et choupette sur le sommet du crâne), qu'il fallait, à mon grand désespoir, démêler le matin à grands coups de brosse excédés. Je n’eus pas droit à la jupe, car à cette époque la robe unisexe avait déjà fait place à la barboteuse.

 

Ballotté de garderies en maternelles, je n’avais nullement conscience de cet anachronisme, mais ma grand-mère pour l’entrée en CP, profita d’un moment d’inattention de ma mère pour me faire couper tout ça. Ce fut paraît-il un drame familial, mais les belles-mères à cette époque, tenaient une place prépondérante au sein du couple, et de toutes façons, c’était fait !

 

C’est ainsi que je suis passé de la coiffure ci-contre, à celle de petit garçon sage présentée dans le post précédent.

 

***

 

Je partageais le temps des grandes vacances estivales en famille, entre la branche maternelle médocaine, la paternelle nantaise, puis après le remariage de ma mère, la région creusoise.

 

 Je me revois encore dans le Médoc.

 

La canicule fait vibrer l’air. De grosses libellules immobiles sont posées sur les piquets de clôtures, attendant je ne sais quoi. Au loin, un pneu de bicyclette éclate, un étourdi à sans doute oublié son engin au soleil.

 

Je viens de me lever de ma  sieste imposée. Il doit être 15 h solaire, soit 16 h "légales" ou 17 h de nos heures d’été. Eh oui, au sortir de la guerre, dans nos campagnes nous devions jongler entre deux heures : l’une du soleil "traditionnelle" usuelle, et l’autre "officielle" héritée de l’occupation allemande. D’où de fâcheux quiproquos, de rendez-vous et de cars manqués. Il était alors d’usage de spécifier heure solaire ou officielle pour tout horaire, mais parfois il y avait confusion.

 

Je parle de car, car à cette époque, les voitures étaient quasiment inexistantes dans ces villages, et seul ce transport en commun bringuebalant permettait de se rendre à Bordeaux Seules les élites et quelques commerçants possédaient ces objets d’exception. Dans les rues, nous ne croisions que chars à bœufs, charrettes à cheval ou mule, et les vélos. 

 

Les vélos…

 

Mon premier vélo fut un vélo à pneus pleins. Increvables par nature, mais d’un confort tout relatif. Puis j’eus le droit d’utiliser des pneus gonflables. Si le confort était amélioré, les contraintes se multipliaient.

 

- ne pas laisser un vélo au soleil, sous peine de voir un pneu éclater. Les matériaux étaient alors de si piètre qualité, que les rayons du soleil suffisaient à mettre à mal n’importe quel caoutchouc. Il n’était pas rare d’entendre des pneus exploser aux alentours, en période de grandes chaleurs. J’ai toujours à l’heure actuelle une certaine appréhension quand je vois un vélo laissé à l'abandon au soleil ! Je suis persuadé que mes enfants s’en souviennent encore.

 

- les routes empierrées recelaient mille pièges, et les crevaisons nombreuses. Il fallait alors sortir clés, démonte-pneus, grattoir, rustines, dissolution, et bassine d’eau pour cerner la fuite puis vérifier l’étanchéité de l’intervention. La première année, c’est mon grand-père (poussé par ma grand-mère) qui s’en chargeait, et c’est "tout péteux" que je lui présentais le soir mon vélo inutilisable.

 

- Où as-tu encore été traîner ? Tu es grand maintenant ! Il va falloir que tu t’y mettes ! ronchonnait-il.

 

 

- C'est l'heure du goûter ! m’appelle ma grand-mère.

 

Et là attention, adeptes de la diététique moderne ! J’avais le choix selon la température ambiante et ce qui traînait dans le buffet, entre :

 

- la brise (par temps caniculaire) : mélange d’eau, de vin et de sucre, dans lequel on mettait des morceaux de pain. Une sorte de soupe sucrée au vin…

- la frotte à l’ail : pain frotté à l’ail trempé dans l’huile

- saindoux : tartine de pain enduit de saindoux et saupoudrée d’un peu de sel

- chocolat (peu couleur locale) : pain enduit de beurre doux parsemé de copeaux de chocolat gratté au couteau. 

 

Je précise que j’ai, grâce peut-être à ce régime et comme tous les éléments familiaux de cette lignée médocaine, un taux de cholestérol inférieur à la fourchette recommandée par le corps médical.

 

***

 

A Nantes, aussitôt que la météo le permettait, je me rendais au bassin du Jardin des Plantes. Combien de bateaux y ai-je fait navigué ? Je ne peux le dire. Voiliers, bateaux mécaniques, tout ce qui flotte était bon. J’ai ainsi pu maîtriser peu à peu le rapport entre vent et réglage des voiles, afin de rechercher un équilibre permettant d’obtenir une trajectoire plus ou moins rectiligne.

 

Toutefois, ma spécialité était la confection de sous-marins que je confrontais à la production de concurrents pugnaces. Une coque en bois lestée, un "moteur-caoutchouc", une hélice et des ailettes réglables avant et arrière pour la plongée, découpées dans une boîte de conserve, mais chaque détail avait son importance sur la qualité finale de l’œuvre !

 

A combien d’essais désastreux ai-je pu assister : bateau s’arrêtant au milieu du bassin, ou moteur trop puissant faisant faire des tonneaux à la malheureuse embarcation, à la grande joie des spectateurs et le dépit du concepteur.

 

Lorsque le temps ne s’y prêtait pas vraiment, je me rabattais sur la lecture de livres glanés le dimanche matin à la bibliothèque paroissiale.

 

***

 

En Creuse, les jours se partageaient  entre cueillette de champignons et pêche.

 

Pêche à la balance pour les écrevisses, à la ligne classique pour les goujons après un orage, et à la sauterelle pour les truites et chevennes.

 

Le matériel utilisé pour cette dernière était simplissime : une cane, trois mètres de fil, un hameçon n° 6 (nom monté), quelques centaines de mètres de rivière, et les sauterelles attrapées au passage dans les champs. Je me rappelle encore de la prise de ma première truite. Approche de sioux vers un site propice à l’habitat de la proie, catapultage de l’appât entre les branches, brandouillage afin d’imiter un insecte tombé à l’eau, aspiration et disparition de la bébête par dessous, happée goulûment par le prédateur, attendre deux secondes, et hop !

 

Tremblant d’émotion et d’excitation, je décroche ma prise et la dépose délicatement dans mon panier sur un lit d’herbes, imaginant déjà le soir, la mine de la famille béate d'admiration devant un tel exploit !

 

Je deviens grand !

 

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Commentaires: 2
  • #1

    P Bories (vendredi, 26 novembre 2021 20:06)

    A la lumière de ces trois «  origines « , je comprends mieux le personnage que tu es !!

  • #2

    le petit garçon tout blond du 6 (samedi, 27 novembre 2021 19:09)

    Nostalgie, nostalgie... Ah qu'il est doux de retourner dans ces années où avec deux chemises ( une rouge, une bleue) on tenait tout une année, où on se chauffait au gaz avec un poêle à brûleur dans les chambres d'enfants (les petits jouets en celluloïd, ça brule bien), où on admirait les petits coureurs cyclistes en fer dans les vitrines des magasins illuminées pour noël en revenant de l'école...