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Autorité professorale

Alors qu'il rêvassait en classe de CM1, le jeune Vincent fut sorti de sa torpeur, par le bruit occasionné d'une règle tombant de la table d'un de ses petits camarades. 

 

Quelques minutes plus tard, dans un autre coin de la classe, une autre règle suivit le même chemin.

 

Le maître alors, soucieux de la bone tenue de sa classe, et soupçonnant le début d'une série impertinente, promit "50 lignes" au prochain maladroit.

 

Las, notre ami Vincent, sans doute encore mal réveillé, fit à son tour malencontreusement chuter sa règle.

 

Aussitôt la sanction  tomba :

- Vincent, 50 lignes !

 

Oui mais voilà, Vincent avait une haute idée de l'équité, et vouait une sorte de culte à une des vertus cardinales : la justice.

- Non, je ne ferai pas ces lignes, les deux autres ont aussi fait tomber quelque chose, y'a pas de raison !

 

Le maître, garant de l'autorité, tenta bien d'expliquer et convaincre le récalcitrant, mais ce dernier, buté comme un âne, ne démordait pas de sa position. Heure de la récréation… sauf pour Vincent !

 

 

Or, à cette époque, il était de tradition de distribuer pour Noël, un cadeau choisi par chacun. Vincent avait jeté son dévolu sur un coffret de jeu de société.

 

Vint le jour de la distribution. Les cadeaux étaient disposés sur une table, et Vincent n'avait d'yeux que pour l'objet de son choix. Chaque élève était appelé à tour de rôle, et bientôt, il ne resta plus que le fameux coffret.

- Alors Vincent, et ces 50 lignes ?

 

Catastrophe ! Mais impossible de céder, et le maître s'en alla ranger le cadeau dans le placard à ustensiles de classe. Ainsi, chaque fois que Vincent était envoyé quérir des pinceaux, papiers ou autres, il avait devant les yeux l'objet du renoncement.

 

Ainsi passa l'année scolaire, puis le début de la suivante, et vint l'heure du choix du cadeau de Noël. Persuadé que le scénario de fin d'année serait identique, Vincent demanda un cadeau dont il n'avait pas du tout envi : une maquette. Le dénouement en serait d'autant moins cruel.

 

Noël. Notre ami aperçoit la maquette parmi les paquets, et sans illusion, attend la fin de la distribution. 

Alors que les élèves sortent, le maître retient Vincent et lui re-pose la question fatidique. Même reaction de notre réfractaire. Alors l'instit' se leva, alla chercher le fameux coffret, le posa sur la maquette, poussa l'ensemble vers notre récalcitrant, et dit dans un sourire :

- Tiens ! Je vois qu'il est inutile de persister, tu as gagné…

 

Et notre ami un peu inquiet, mais fier comme un pou, s'en alla à petits pas, savourant sa victoire.

 

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Commentaires: 4
  • #1

    le fortiche du 6 (lundi, 28 juin 2021 18:48)

    Histoire vraie je présume ?
    Vincent le persévérant

  • #2

    Babette (lundi, 28 juin 2021 20:31)

    Quelle ténacité ! Bravo au petit écolier et à son instituteur qui accepta la "défaite" et valorisa la position de son élève devant l'équité. Bravo au narrateur �.

  • #3

    Gilles (mercredi, 30 juin 2021 16:31)

    Dans les pentionnats des années 60, les punitions collectives étaient appliquées en cas de chahut. Or la punition collective est interdite par le droit pénal français. Si j'avais su l'histoire de Vincent, j'aurais protesté ! Trop tard !

  • #4

    Gérard (vendredi, 02 juillet 2021 08:17)

    Dans lequel on voit un maître, certainement socialiste et imprégné de principes "modernes", céder devant l'obstination d'un enfant rétif qui refuse de s'amender et d'accepter la juste sanction qu'il mérite.
    "Errare humanum est, perseverare diabolicum"
    Merci, Alain, de nous avoir éclairé par ce récit qui démontre que la perte des valeurs éducatives qui font le socle de notre république ne date pas d'hier, inutile de chercher ailleurs l'origine du caractère contestataire et même, osons le mot, séditieux de l'individu devenu adulte.