La Petite Princesse

- Monsieur, dessine-moi un petit chat…

 

Alors que je rêvassais, déambulant le long du sentier côtier bordant une plage tranquille, une petite fille me tira par la manche. Elle était un peu rousse et arborait fièrement deux tresses arrogantes. Ses yeux clairs et inquisiteurs me fixaient sans aménité. Que faisait-elle là, seule, sur ce chemin désert ?

 

- Monsieur, dessine-moi un petit chat… réitéra-t-elle avec une pointe d’impatience, et  me tendant un calepin et un crayon.

- Bonjour d’abord, lui répondis-je. Mais comment t’appelles-tu et d’où viens-tu ?

- Dessine-moi un petit chat ! insista-t-elle d'un air buté.

 

Ayant lu "le Petit Prince" et désirant gagner du temps, je dessinai une caisse en lui indiquant que son chat était à l’intérieur. Après avoir récupéré son carnet, elle vérifia la présence de l’animal, et paru légèrement se détendre.

 

- Je m’appelle Greta, je viens d’une petite planète toute verte, et j’en suis la princesse. J’y vis dans un splendide isolement et cultive du quinoa. Elle marqua une légère pause...

- Tu es sûr que ton chat ne mangera pas mon quinoa ? s’enquit-elle, puis continua son récit...

- Malheureusement ma plantation est envahie de petits rongeurs qui mangent mes graines. C’est pour cette raison que je suis partie à la recherche d’un chat pas trop gros, car ma planète est toute petite.

 

Elle m’expliqua alors, qu’avant d’arriver sur terre, elle avait visité de nombreuses planètes et astéroïdes afin d’y trouver son bonheur.

 

Une de ces escales fut une planète qui changeait constamment de forme, et qui était habitée par de curieux oiseaux à grandes jambes et petites ailes, avec un très gros bec, et qui pédalaient à tout propos jusqu’à épuisement. Elle y rencontra une sommité locale, qui lui présenta une collection de chats-doks. Mais ils ne fonctionnaient pas très bien, et elle préféra tenter sa chance à un autre endroit.

 

Justement, pas très loin était une autre petite planète, toute plate, peuplée de curieuses bêtes ressemblant à des saucisses à pattes, et  arborant chacune un chapeau melon ridicule. Ils lui expliquèrent que ce petit chapeau leur permettait de rester constamment en communication avec tous les autres habitants, et ainsi résoudre très rapidement tous les problèmes, même les plus compliqués. Greta aima beaucoup l’idée d’un chat affublé d’un petit chapeau. Malheureusement, les habitants lui firent comprendre que les chats n’existaient pas sur leur planète, car ils n’avaient pas de rongeurs ravageurs, ni même de quinoa.

 

C’est ainsi qu’après moult tribulations, elle arriva sur Terre.

Elle essaya de rencontrer Nicolas, porte étendard de la cause écologique, et grand spécialiste du quinoa bio, éco-responsable et issu de l’agriculture solidaire. Mais après l’avoir successivement recherché dans ses propriétés de Corse, d’Ille-et-Vilaine, de Haute-Savoie et parisiennes, elle jeta l’éponge et c’est ainsi que nous nous sommes rencontrés. Pourquoi ? Comment ? Je l’ignore… Mais ce n’est certainement pas pour ma réputation d’ayatollah de la "cause" !

 

Cependant, le temps s’écoulait, le soleil baissait sur l’horizon, et la fraîcheur bretonne s’installait. Elle voulut alors avant de me quitter, caresser son nouveau compagnon. Sur son feuillet, elle entrouvrit précautionneusement la caisse que je lui avait dessinée et glissa la main vers la boule de poils. Aussitôt, elle retira vivement son bras en hurlant : le chat lui avait planté griffes et dents dans la peau. Peut-être était-il indisposé par un reste d’effluve de quinoa ?

Quoiqu’il en soit, elle lâcha vivement le tout, laissant le vent emporter mon dessin sur la plage. Alors qu’elle se précipitait afin de le récupérer, je profitai lâchement de l’occasion pour m’éclipser prudemment…