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Naufrage sur le Doubs

Il n’y a pas que la voile avec ses croisières ou ses régates pour se déplacer sur l’eau. J’en veux pour preuve la balade sur les eaux intérieures. Depuis de nombreuses années, je pratique le Canal du Midi, ses écluses, ses petits ports, ses rives à l’ombre des platanes centenaires (plus pour longtemps à cause d’un champignon les attaquant)...

J’ai commencé par la location de bateaux de la Blue Line, de type “caravanes flottantes”, puis à la demande de copains manquant de temps, je passais leurs voiliers d’Atlantique en Méditerranée et vice versa.

 

Profitant d’une semaine de temps libre avant mon premier championnat de J24 (1981 ou 82), et fort de mon expérience de marin d’eau douce, je décidai d’aller explorer le Doubs, en louant une de ces embarcations pas très attirantes, mais bien adaptées à ce genre d’activité.

 

Nous voilà donc à bord, l’équipage au complet : Claude, sa femme Roselyne, leur chienne, Danièle mon épouse, nos trois enfants (7, 5 et 3 ans). En me remettant les clefs, la carte, et affirmé qu’il sera toujours possible de joindre la base par téléphone, le loueur tente de nous dissuader d’emprunter ce passage sur le Doubs, arguant de ses difficultés de navigation.

Je balayai ses objections d’un revers de manche : avec mon expérience tant en voilier qu’en navigation fluviale, il n'avait pas de souci à se faire.

 

Nous voilà donc partis sur cette jolie rivière canalisée, prenant le volant à tour de rôle, toujours un œil sur la carte, car nous ne voyons pas les bouées de balisage. En deux ou trois jours, nous atteignons Besançon et sa citadelle et reprenons le chemin du retour en redescendant le Doubs.

 

Le lendemain, alors que je prenais ma douche pendant que Danièle menait le canot, un ralentissement brutal et un bruit de raclement alarmant.

- Alaiiiiiiiiin !....

- J’arriiiiive !....

Encore humide mais décent, je constatai la situation : bateau immobilisé au milieu de la rivière. Un coup d’œil à la carte : le chenal était à gauche. J’ai appris plus tard que pour maintenir la navigation, les déblais de dragage du chenal étaient déposés à portée de pelleteuse, soit au milieu de la rivière.

 

Que faire ?

Pas de téléphone à l’époque, pas d’annexe, un courant soutenu nous poussant vers le haut fond…

Nous commençons par demander de l’aide à des bateaux de passage, mais leurs faibles motorisations ne permettaient pas de nous remettre dans le lit du Doubs. Puis nous envoyons Claude en bateau-stop à l’écluse la plus proche, afin de prévenir la compagnie et la prier de nous sortir de ce mauvais pas.

Après une attente qui nous sembla très longue, nous le revoyons revenir, la mine piteuse : malgré plusieurs appels et messages enregistrés, pas de réponse. Bien que nous soyons dimanche, la promesse d’être toujours joignable n’a pas été tenue.

Qu’à cela ne tienne, nous allons passer la nuit là et téléphonerons à nouveau demain. La fin de journée se passe dans la bonne humeur, quand à la nuit tombée, j’aperçois une petite tache d’humidité dans un coin du “salon”.

- Regarde Claude ! On n’a pas pensé aux besoins naturels de ta chienne…

- Impossible ! Elle ne ferait jamais ça…

- Peut-être, mais c’est quoi alors ?

Au cours de la discussion nous voyons que peu à peu la tache s’agrandit et il me faut bien me rendre à l’évidence : Claude a raison sa chienne est innocente, nous coulons !

Les micros mouvements du bateau ont occasionné le perçage de la coque par un caillou malveillant.

Maintenant il fait nuit noire et nous devons nous organiser. Cinq paires d’yeux anxieux me regardent et attendent mes directives. Bon…

D’abord sécuriser le bateau : je descends dans l’eau, et vais porter une ancre en amont et à l’opposé du lit afin d’éviter que le bateau ne glisse et soit emporté par le courant.

Mettre toutes nos affaires dans des sacs-poubelle et les entreposer sur le toit afin de faciliter une évacuation éventuelle.

Puis distribuer les rôles : en cas d'aggravation de la situation, qui s’occupe de la chienne, des enfants…

Et enfin, à tour de rôle, appeler à l’aide si d'aventure nous étions entendus par quelque promeneur noctambule. Il n’est pas facile du tout de crier “Au secours”, à froid, sous le regard de ses petits camarades. Les premiers appels furent pathétiques.

 

Quelques temps plus tard, deux voix nous répondent : un homme et une femme. Dans le noir le plus complet, nous leur exposons la situation et les prions d'alerter les secours. Pourvu qu’il ne s’agisse pas d’un couple illégitime tenant à garder son anonymat !

 

Enfin nous entendons des klaxons bi-tons, puis apercevons des véhicules flashant de toutes les couleurs. Noël !

Des zodiacs viennent nous récupérer, nous et nos bagages, un asile nous est offert pour la fin de la nuit. Au matin, après nous être restaurés et avoir chaleureusement remercié nos sauveteurs, nous allons sur la rive voir le théâtre de nos exploits…

Le bateau est toujours à la même place, mais a pris une gîte importante vers le lit de la rivière et certaines fenêtres sont dans l’eau. L’ancre a été correctement placée et a tenu : bravo, Alain ! 

Au cours d’une discussion, les pompiers nous apprennent que l'hiver le courant des crues est tel, que le balisage ne tient pas, et n’est dorénavant plus remplacé.

 

Quelques jours plus tard, à bord du J24, lorsque pressé de questions sur le déroulement de ma croisière fluviale, j'ai dû faire part de mes mésaventures, je revois encore la mine hilare de mes équipiers. Et bien que j'aie demandé une certaine discrétion, il me semble, au cours des épreuves, avoir remarqué quelques sourires narquois sur le visage des équipages concurrents.

 

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Commentaires: 6
  • #1

    Joël Lachaux (mardi, 29 octobre 2019 16:58)

    A l' évidence , la seule consigne à tenir : Dans le Doubs s' abstenir .

  • #2

    Sylvie l’aubergiste (mardi, 29 octobre 2019 17:32)

    C’est à cela qu’on reconnaît les vrais marins : ils ont l’humilité de raconter aussi leurs bévues ! Merci Tonton

  • #3

    Babette (mardi, 29 octobre 2019 19:45)

    C'est vrai qu'il raconte mais il met du temps... presque 40 ans ! J'essaie d'imaginer la tête de Danièle....�

  • #4

    Patrick (mardi, 29 octobre 2019 23:17)

    Quel bon conteur ,et de plus une belle langue !

  • #5

    Antoine (mercredi, 30 octobre 2019 09:36)

    Les exploits de maman la suivent encore dès qu'elle doit lire une carte...
    En tout cas super souvenir pour un garçon de 5 ans :-D

  • #6

    Olivier (mercredi, 06 novembre 2019 19:05)

    ça tombe bien on a justement prévu de louer une de ces péniches pour touriste entre Saône et Doubs en Mai prochain! On emmènera les maillot de bains et les lampes torches, la gognio et les walkies, le haut parleur et un zodiac, des sacs plastiques pas trop biodégradables, des serviettes de bains, un rechange en sac étanche, heu… si tu vois autre chose, préviens nous!
    Amitiés