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Les débuts du Spi Ouest-France

C'est en cette année 1978 que fut lancé le Spi d'Or Ouest-France. Nous n'étions pas très nombreux, une quarantaine de bateaux, et nous considérions cette épreuve comme la mise en application de nos entraînements hivernaux. Parfois la météo fleurait bon le printemps. Il y avait toutefois une différence majeure entre nos entraînements et les épreuves du Spi, c'est la navigation de nuit : une centaine de milles avec les moyens de l'époque, sans téléphone, ni GPS. "À l'ancienne", comme dans les livres...

 

Ce n'était pas ma tasse de thé, somnoler dans les filières à rêver de couette chaude, bof... Mais il fallait bien, et après on avait quelque chose à raconter. 

- Rappelle-toi, la fois où … !

A ce propos, voyez vous, deux anecdotes me reviennent en mémoire.

 

La première se déroule à la Cardinale des Chats, au sud-ouest de Groix. Nous devons virer cette bouée avant de redescendre (comme sur une carte accrochée verticalement au mur) vers le sud. Il fait nuit noire, peu de vent, et nous ne voyons toujours pas ses feux. Quelques temps après, nous percevons un brouhaha mêlant les cris, les bruits de tangons et bômes malmenés, et les faisceaux des lampes torches zébrant les coques et les voiles de Z qui veulent dire : "z'est quoi ce bordel !?". Nous comprenons bientôt, qu'il n'y a plus de vent au niveau de la balise ou que le courant contraire scotche les concurrents. Les bateaux viennent s'agglutiner, et les équipiers encouragés de la voix par les propriétaires, tentent de repousser les balcons avant et arrière, les chandeliers, les haubans des bateaux agresseurs, tout cela dans la plus grande pagaille.

Nous finissons par nous dégager, mais nous constatons alors, que nous avons maintenant un équipier de plus ! Ce malheureux nous explique alors, qu'il était sur un autre bateau et tentait de repousser notre balcon avant, lorsque perdant l'équilibre, il y est resté agrippé et a été extrait involontairement de son bord d'origine. Pas d'autre choix que de se hisser à notre bord, sans autorisation préalable. Le problème c'est que dans la confusion générale, personne ne s'est sans doute rendu compte du transfert. Les téléphones n'existaient pas encore, nos appels et cris se perdaient dans le bruit ambiant, pas moyen de retrouver le bateau d'où provenait notre jeune immigré !

D'un commun accord nous avons poursuivi notre route, terminé l'épreuve, et déposé discrètement notre passager clandestin sur un ponton, coupant court à toutes tracasseries administratives que la situation n'aurait pas manqué de nous valoir. Si j'ai bonne mémoire, un équipier du bateau de l'émigrant avait vu l'échange, et l'équipage prêteur savait qu'il récupérerait son équipier à l'arrivée. 

 

Pour la deuxième, nous sommes en route pour l'Île d'Yeu. Il fait encore jour, mais un crachin tenace et une houle vicieuse nous tiennent le moral au plus bas. Le teint d'Alain, un équipier recroquevillé contre le balcon arrière, vire peu à peu au vert. Vous imaginez l'ambiance, la perspective de passer une nuit en mer dans ces conditions...

Nous croisons alors devant Hoedic, lorsqu'une voix discrète énonce :

- Quand je pense qu'on pourrait tranquillement se taper un homard à Hoedic, au lieu de se faire branler et rincer toute la nuit...

Tout d'abord, cette sortie reste sans réponse. Le temps sans doute d'imprégner nos neurones, mais le ver était dans le fruit...

Nous tentons bien quelques :

- C'est pas si terrible...

et :

- Allez, borde-moi cette écoute...

Mais le cœur n'y est plus, et quand la décision d'abandonner et de faire escale est mise aux voies, elle est adoptée à l'unanimité. Ainsi toute honte bue, les délices de Capoue en fond d'écran, et un délicat soupçon de remord au bord de l'âme, nous choquons allègrement écoutes de génois et de grand voile, et abattons en grand vers le port d'Hoedic.

De homard, il n'y eu point : nous n'avions pas de quoi débarquer. Nous nous sommes contentés de nos modestes provisions, mais que nous avons dégusté, hilares, à l'évocation de nos petits camarades, accrochés comme des morpions à leurs filières.

Le lendemain matin, j'ai même le souvenir d'avoir obtenu un bol de café et des toasts grillés beurrés fondants , bien lové au chaud au fond de ma bannette. Il ne nous restait plus alors qu'à rentrer, ce que nous fîmes en compagnie de la flotte de nos ex-concurrents qui remontaient de l’Île d'Yeu. Arrivés au port, nous avouèrent, la mine contrite, notre renoncement aux autres bateaux. Mais on sentait bien que nous faisions bien des envieux. Pour certains, la nuit n'avait pas été facile...

 

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Commentaires: 3
  • #1

    Sylvie l’aubergiste (dimanche, 01 juillet 2018)

    Eric et moi avons aussi des souvenirs mitigés et nauséeux des courses de nuit du spi dans le temps jadis. Mais guère d’anecdoctes aussi amusantes et surtout si plaisamment relatées. Merci Tonton !

  • #2

    Alain de HERCÉ (dimanche, 01 juillet 2018 14:53)

    Alain
    Je pense avoir identifié le défaillant du bord ce jour là mais tu oublie de dire que le lendemain au petit déjeuner ceux qui avaient choisi l option thé n étaient guère plus vaillants pour cause d usage de l'eau de la réserve du bord qui avait été rincée à l'eau de javel

  • #3

    Tonton (dimanche, 01 juillet 2018 17:15)

    Ce soir là, tout le monde était plus ou moins "défaillant". D'ailleurs, ne sommes nous pas tous faillibles, pauvres de nous ?
    Quant à l'eau ayant servi à la préparation du thé, était-elle différente de celle utilisée pour la confection du café ? Je l'ignore, mais peut-être que les buveurs de Nes' ont les papilles moins "délicates" ?
    J'avais effectivement oublié cette mésaventure survenue, le lendemain matin, aux buveurs d'eau chaude.