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Le pont de César

 

Racontée par Job, le pécheur houatais, (avec l'accent chantant du pays)

Extrait de PRESSE-OCÉAN de septembre 1974, communiqué par Gilles de Gouvello.

 

Alors donc, commença-t-il, vous avez surement entendu parler de ce César là dans vos écoles, mais pour ce qui est de son pont qu'était ici, j'va vous dire mais pourquoi il l'a fait faire ; c'est pas mis dans les livres ça, mais je le tiens des vieux d'autrefois qui savaient des choses !

 

Vous savez comme moi, primo et d'un, que César était un roi païen et méchant qui venait du pays des Mocos, par là (geste de la main vers le Su et le Suet), mais la rivière du Loch l'arrêta.

"Tiens bon là, qu'il dit à ses soldats, des mécréants comme lui, tiens dessus ! On va toujours s'établir ici, attendre et voir venir". Puis par curiosité, il expédia "en corvette" quelques espions à la nage pour voir ce qu'il y avait sur l'autre rive, amont et aval, au delà de Rosnaro et Kerentrech. Ses gars revinrent et firent leur rapport :

"Chef, qu'il dit l'un d'eux, j'ai vu des fermes et des villages, des cultivateurs et des parqueurs aussi, et un château entouré de jardins magnifiques, le tout protégé par une forêt de toutes les essences d'arbres connues".

 

Secundo et de deux, du château ce sale espion n'avait pas seulement visé la belle architecture qui dépassait en qualité celle du château de Josselin de chez nous-autres, et même de Kerjean de chez les cornouaillais, c'est vous dire... Il avait vu aussi le Roi des Bretons, très grand et très beau, couronné d'or, et naviguant dans son jardin sur un grand cheval blanc. Autour de lui, ses douze chevaliers (mon grand-père disait toujours douze), tous étaient gréés de beaux vêtements et de suroîts dorés.

 

Tertio et de trois, voilà le temps qui s'enhorna*, qui devient vilain pour not' roi, not' roi qui était bon comme le bon pain, la soupe aux pauvres itou, et bon chrétien comme de juste et de raison, et parfois promenait par la main sa fille unique, la plus belle princesse qu'on peut rêver, aussi belle pour sûr que Ste Avoye qui était venue d'Irlande au Bono dans un petit bateau en pierre ; même que ceux qui croient pas peuvent aller voir : il est garé dans la chapelle, au mouillage avec ses avirons de pierre.

Fou qu'il était le César !

"Tu l'as vu ? Et elle est aussi belle que Ste Avoye qui est en portrait dans la chapelle ? Si tu me mens, tu me le paieras", qu'il dit à son espion premier brin. "Si c'est vrai, moi qui a tué ma dernière femme, je veux celle-la en mariage ! Qu'on arme un canot' !".

Un parlementaire, un trompette, un drapeau blanc pour une demande d'audience au Grand Roi Breton. "Alea jacta est !" a-t-il crié dans son langage, en mettant le pied dans le canot'.

"Mallogh ru !" s'écria Job, "oui malédiction rouge, César !".

Donc il y eu entrevue, réception, grand pavois, bal breton, cidre bouché, tabac à pipe, carotte à chiquer à gogo, comme on fait chez nous en Bretagne, quoi. Tout y était, même Monsieur le Recteur, et du lambic, dam' ! Et du champagne aussi probable ; vous pensez bien, un roi !

"Sire le roi" qu'il dit le César des pousse-cailloux romains, "tu me parais honnête, on peut s'entendre. Ta fille me plait, donne-la moi pour femme. Avec ou sans dot, je la prendrai, car, dans mon pays, je suis très riche".

Insulté se trouvait le roi ! "A un sale païen noiraud comme toi, qu'il sait même pas se servir d'un aviron, ni faire un nœud pour se pendre ! Pousse-cailloux ! Pharmacien, va !", qu'il répond le roi, "tu m'entends : jamais ! Et que le Grand Cric me croche si je me parjure !".

"Tu aimes ta fille, je le comprends" dit le noiraud rusé, "mais puisque je te dis que j'en ferai une reine chez moi", qu'il lui fait, ce figure de servante Ponce-Pilate, "laisse-moi une chance !".

Il pensait gagner au vent, en tirant des bords en face du roi qui le tenait à bout de gaffe. Alors là se situe le point pathétique. Le bon roi pensant se moquer du noiraud eut l'imprudence de lui dire :

"Ouvre tes écoutilles, César, et cargue tes voiles ; ma fille sera à toi le jour où tu traverseras le Loch à pied-sec ! Et maintenant, amarre ta langue, un tour mort et deux demi-clés et "drive" ! J'ai plus rien à te dire, et même si tu chavires au milieu de la rivière en retournant à ton camp… Et puis d'abord, je ne te connais pas, t'es pas de chez nous". César avait tout écopé sans répondre, mais en arrimant bien dans sa cervelle de Judas le coup de l'"à pied-sec".

Arrivé de retour sur la rive est-nordet qu'il occupait, il mit son régiment au travail, et "hardi petit, pare à virer". De son côté, not' roi pensait : "On est là au niveau de la mer, toujours de l'eau, du courant et la vase… Même un pont ne serait pas possible. Il sera quitte de revenir le noiraud !".

Et pourtant, et pourtant ! Ne vit-il pas, peu après le jour du pari, les biffins d'en face mouiller des espèces de manière de radeaux chargés de grosses poutres, de haches et d'harpons à scier les gros morceaux, justement là où le Loch est étroit. "Petra zou diaou ! Que diable cet homme-là est en train de mijoter ? Un pont qu'il veut faire, un sacré culot !".

Alors, autant comme autant, il fallut se rendre à l'évidence et prendre la cape dans la boucaille ; c'est que les pontonniers du génie de ce temps-là connaissaient déjà leur métier. Radier posé, les piles de maçonnerie montèrent, un plancher s'établit en bon bastaings. Si bien que vint le jour où le Romain put franchir le Loch sans canot' et sans mouiller ses sabots et qu'il dit :

"J'ai fait ce que tu as dit, à pied sec, Sire le roi", qu'il dit, "à toi de payer. Donne moi ta fille, sinon, ça, t'es parjure !".

Oh ! douloureux épilogue de l'histoire d'un pari trop légèrement formulé !

"Ainsi donc, paraphrasa Job, que pouvait faire ce père modèle acculé au règlement criminel de sa dette ou au déshonneur ? Je vous le demande. Eh bien, not'malheureux roi de cette époque là, il se tira un coup de revolver.

Quand je dis revolver, reprit-il après une hésitation, j’avance peut-être un peu ; les revolvers étaient peut-être pas encore inventés. Disons plutôt un coup de pistolet, les pistolets c'est plus vieux.

 

Et maintenant, vous tous de la Baie et du Golfe, vous savez tout de la construction du fameux "Pont-de-César".

 

Hervé DENIS

* évocation du cap Horn ?

 

Vous pouvez constater que sur l'extrait de carte marine datée de 1676, le lieu dit "Les arches" sis à la Pointe de Kerisper, ne laisse planer aucun doute sur la véracité de ce récit.

 

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Commentaires: 2
  • #1

    Olivero del seis del forte (lundi, 27 novembre 2017 12:35)

    Génial ! On en veut encore ! et pourquoi pas une reproduction choisie du pa

  • #2

    Olivero del seis del forte (lundi, 27 novembre 2017 12:37)

    ...du passage de l'équateur?...