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Le passeur du Fort Espagnol

Remontant vers l'amont depuis l'embouchure du golfe du Morbihan, c'est au Fort Espagnol que la rivière d'Auray devient notablement plus étroite et que l'accès à la "terre ferme" de ses rives n'est pas gêné dès la mi-marée par une large vasière.

C'est donc logiquement que ce lieu a pu être, depuis des temps immémoriaux, un lieu de passage pour les populations côtières circulant de part et d'autre du golfe. Il permettait de s'épargner de très longs détours, mais aussi peut-être d'éviter la ville d'Auray et son pont sur le Loch où il y avait un octroi.

Plus en amont, Kerentrech était également un lieu de passage comme l'atteste le nom (en breton : treizh = passage).

 

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, avec le développement du captage des naissains d'huîtres plates dans la rivière d'Auray, les demandes de concession de parcs ostréicoles en bordure de chenal affluent sur les bureaux des Affaires Maritimes. L'on voit ainsi apparaître des plans ou des cartes reportant ces concessions comme ci-contre.

Cet extrait (de piètre qualité) tiré d'un livre sur l'ostréiculture nous révèle que le passage du Fort Espagnol est aménagé et répertorié :

Le môle du Fort Espagnol se prolonge par une cale ou au moins une chaussée empierrée jusqu'à la laisse de basse-mer de vive-eau, nommée "Passage de Crach à Baden". Il en est de même du côté Baden où la "cale du Passage" est mentionnée, desservie par un chemin arrivant du hameau du Parun. Ces deux constructions doivent pouvoir assurer des conditions d'embarquement et de débarquement correctes quelques soient le moment et le coefficient de la marée.

 

Dans les années 1950, le passage est toujours utilisé car beaucoup de gens ont pour unique moyen de déplacement le vélo et ce n'est pas trop compliqué de transborder des bicyclettes. Il suffit d'avoir à disposition une plate et une bonne paire d'avirons.

Il n'y a pas (ou plus ?) de passeur attitré et c'est le plus souvent mon vieil ami Jean Marie Pluart qui assure la prestation avec sa plate "Les trois soeurs". Car Jean Marie est bien entendu d'une très grande serviabilité mais aussi intéressé par le pourboire qui se transformera en une petite chopine supplémentaire chez Clémentine à Crac'h.

En l'absence de Jean Marie ou parce qu'il en a eu directement la demande, c'est mon père qui devient parfois le passeur. Tout naturellement, dès que j'en ai eu les capacités et lorsqu'il estime les conditions idéales, mon père me confie cette mission, occasion pour moi de  faire un petit peu d'argent de poche.

Ne pouvant physiquement me servir d'une trop grande plate, j'utilise la petite plate du chantier ostréicole appelée "Pitche" (du nom du héros de BD des années 30) dont la capacité est de deux passagers (assis sur le banc arrière) avec leurs deux vélos (empilés à plat en travers sur l'avant).

 

C'est ainsi que je suis devenu le passeur attitré (ou presque) de deux jeunes hommes de Crac'h qui avaient leurs "connaissances" à Baden, les filles d'une ferme du hameau du Parun juste en face du Fort Espagnol et sans doute d'autres plus éloignées car il fallait aussi transborder les vélos.

Si l'heure de rendez-vous à l'aller est respectée, vous imaginez bien que celle du retour l'est beaucoup moins. Me voilà alors condamné à de longues attentes, parfois à la nuit tombée, blotti au pied d'un buisson en bas du (très mauvais) chemin creux menant au Parun, veillant à marée descendante que la plate n'échoue pas.

Heureusement le papa est vigilant et n'hésite pas à venir à la rescousse lorsque la météo et la marée ne sont plus favorables !

 

Bernard Cadudal   

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Commentaires: 2
  • #1

    Ollé Ollé (vendredi, 24 novembre 2017 15:44)

    C'était-t-y vrai qu'les filles du hameau de Parun étaient si jolies qu'on risquait la traversée avec le jeune Bernard pour ?

  • #2

    Bories (vendredi, 24 novembre 2017 19:40)

    Bravo ! Beau récit de scènes bucoliques…… comme on n’en fait plus !