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Ouragan, il y a 30 ans

La triste actualité outremarine et le calendrier me remettent en mémoire un phénomène météorologique que la Bretagne et la Normandie ont subi il va y avoir trente ans et connu sous le nom de "ouragan d'octobre 1987".

Il est sans commune mesure avec "Irma" mais pourtant les dégâts sont énormes et malheureusement une quinzaine de morts en France et une vingtaine en Grande Bretagne sont à déplorer!

Une image marquante reste celle de l'empilement des bateaux poussés avec tout le port de plaisance contre la muraille de la ville close de Concarneau.

En cette fin de jeudi 15 octobre, le Fort Espagnol est plutôt calme car la météo est bien mauvaise mais sans plus, le gros du coup de tabac annoncé depuis plusieurs jours tardant à arriver ... Danielle est à Crach pour une réunion "parents – professeurs" ; je suis en mer, et je devrais être de retour à la maison vendredi soir.

Quelques heures plus tard c'est la tourmente. La route du Fort Espagnol est impraticable aux voitures. Inquiète pour ses deux garçons et leur grand-mère, Danielle fait le retour à pied dans le noir et dans la tempête, évitant les arbres et les branches jonchant la route.

A la maison, tout est tranquille et le monde dort paisiblement !

Pas de dégâts significatifs au Fort Espagnol, mais le plus remarquable est qu'il est devenu bicolore. En effet du côté au vent, c'est-à-dire côté sud-ouest, la végétation et particulièrement les haies sont passées du vert au marron, littéralement brûlées sous l'effet de la violence d'un vent chaud, plutôt sec et chargé de sel.

On trouve toujours sur Internet des articles évoquant ce phénomène. Mais mon vécu, cette nuit du 15 au 16 octobre est une autre histoire !

 

Mercredi 14 octobre 1987, le "Du Chayla", escorteur lance-missile dont je suis le commandant en second, descend la Manche en retour d'une mission en mer de Norvège / mer Baltique. Il doit effectuer, au passage, un exercice avec la Royal Navy puis regagner Brest le vendredi après-midi.

La météo est mauvaise mais ce n'est pas le "très fort coup de vent à tempête" annoncé depuis plusieurs jours et qui tarde à arriver. Il y a peu de monde sur la mer, car les pêcheurs ne sont pas sortis et de nombreux navires de commerce ont déjà pris des mouillages abrités.

Le 15 au matin, les conditions météo se dégradent et l'exercice franco- britannique est annulé. Le "Du Chayla" fait alors route vers Brest en gardant un faible espoir de pouvoir entrer au port.

Trop tard ! Il y a déjà 50 noeuds en contournant Ouessant ! 

Un tour en rade de Brest fait découvrir un plan d'eau encombré de navires au mouillage. Et nombre d'entre eux ne sont pas très sûrs de la bonne tenue de leurs ancres si l'on se réfère aux discussions nerveuses ou angoissées sur la VHF.

En sortant du goulet à la tombée de la nuit, à hauteur du Petit Minou, l'anémomètre flirte avec les 80/90 nœuds (vent apparent).

Ancres bien saisies au poste de mer, ultime vérification de l'arrimage du matériel, souquage des verrous des portes étanches, interdiction de circuler à l'extérieur... , le "Du Chayla" est paré pour la nuit. Un passage en baie de Douarnenez révèle une situation des navires au mouillage tout aussi inconfortable que celle de la rade de Brest.

 

Sur la terre, ce ne sont pas des éclairs que nous apercevons de temps en temps mais les flashes des transformateurs ou lignes à haute tension qui court-circuitent. Il ne pleut pas ou peu, mais l'air est très chaud et bien sûr est chargé d'embruns.

La nuit se passe, bien somme toute, à la cape en mer d'Iroise, recherchant en permanence le meilleur compromis route, vitesse mais aussi position derrière la chaussée de Sein pour essayer d'avoir une mer moins forte au moins tant que les vents ne remontent pas trop à l'ouest.

Plus que l'état de la mer, c'est la violence inouïe du vent dans certaines rafales qui nous marquera. Au sémaphore de la pointe du Raz, donc pas très loin du "Du Chayla", le maximum enregistré est de 216 km/h. 

Pour autant, les paquets de mer ont laissé des traces : brise-lames tordu, rambardes pliées, baleinière de 8m disparue de ses bossoirs (en fait transformée en bois d'allumette).

Comme on le constatera dans les observations de Météo France, le "Du Chayla" s'est trouvé exactement sur la trajectoire de la dépression (barographe du "Du Chayla" à 958 hpa à 00h le 16). Se reporter aux figures 5 et 6 de ce document.

 

Au lever du jour, le 16, un grand calme s'est établi avec ciel bleu, grand soleil, vent faible et une houle énorme lorsque le "Du Chayla" se présente à l'ouvert du goulet de Brest pour rejoindre le port.

Et c'est en fait une fois sur la terre ferme que l'on se rendra vraiment compte de la violence du phénomène qui venait de balayer une grande partie de la Bretagne.

 

Bernard Cadudal, mémoire du Fort Espagnol

 

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