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L'oiseau

Je l'avais surnommé Charly, et ce nom lui allait ma foi fort bien.


Sa prestance et son maintien alliés à un soupçon de vulgarité affectée m’avaient immédiatement fait penser à ce prénom. Il ne semblait d'ailleurs pas gêné du tout par ma privauté, et paraissait même assez satisfait de mon choix.


Nous avions fait connaissance par un petit matin frisquet. Un de ces dimanches-matins blanchâtres, propres à vous ramollir la conscience pour le reste de la journée. Il déambulait sur la terrasse, l'air désabusé, jetant de temps à autre un coup d’œil mécanique à la ronde.


La patte noire, le bec noir, la plume noire et l’œil noir, messire Charly le Corbeau était là. Comprenez-moi bien, pas seulement présent, mais là ! J'eus tout de suite la sensation bizarre que nous devions nous rencontrer.


Je commençai par l'examiner discrètement, immobile, à deux ou trois mètres derrière la vitre. Puis je décidai d'entamer les travaux d'approche.


Lorsque j'ouvris la baie coulissante donnant sur la terrasse, Charly s'envola bien sûr, mais se reposa aussitôt. Distants de cinq à six mètres l'un de l'autre, nous nous observions... Alors que je retenais tout geste, il marchait à grands pas, de long en large, et me fixait alternativement d'un œil puis de l'autre. On eut dit qu'il cherchait à me jauger, à prendre mesure de ce personnage, cela sans crainte excessive, plutôt avec application semblait-il. Puis conscients de l'inutilité de prolonger cette première rencontre, d'un commun accord, nous regagnâmes nos quartiers respectifs, comme deux boxeurs regagnent leurs coins après un round d'observation.


A la réflexion, je pensai que l'apport d'un peu de nourriture devrait favoriser les premiers contacts, mais que mange un corbeau ? Je penchai pour un reste de pizza : au moins un des constituants devrait lui convenir.


Je guettai le retour de Charly, ce qui ne tarda guère, afin de lui proposer cette petite collation. Nous nous retrouvâmes donc comme précédemment à quelques mètres l'un de l'autre. Je jetai un petit morceau de pizza près de ses pattes. Il goûta d'un bec preste et attendit la suite. Je lançai un autre bout un peu moins loin et ainsi de suite jusqu'à réduire la distance nous séparant à quelques dizaines de centimètres, quand je manquai, hélas, de munitions en main.


Il attendit sagement quelques secondes, et prenant sans doute conscience de sa position, s'agita, examina la situation une dernière fois, puis alla s'installer sur une branche le mettant hors de portée, mais lui permettant toutefois de suivre sans peine la suite des événements.


Je décidai alors sans trop y croire, de passer à l'étape suivante, et de lui proposer sa pizza tenue à la main protégée par un gant de cuisine. Je me postai donc au milieu de la terrasse, le bras levé, tel la Statue de la Liberté, surveillant mon Charly en proie aux affres de l'indécision. Il me faisait pitié : tenté tour à tour par la nourriture et l'attitude raisonnable du corbeau moyen, il semblait en constant déséquilibre tant sur sa branche que dans sa tête.


Soudain, je ne sais si ce fût le résultat d'une décision mûrement réfléchie, ou la conséquence d'une perte d'équilibre due à son agitation croissante, mais Charly volait dans ma direction. Je ne peux pas dire que ce vol fût grandiose, j'avais même l'impression qu'il regrettait sa décision et essayait de ralentir au fur et à mesure de son approche. Il arriva donc "limite décrochage" à quelques décimètres de ma main. Une seule solution s'imposait s'il voulait éviter le "crash" : faire un posé sur ma main afin de se rétablir, puis redécoller dans de bonnes conditions. En pilote émérite ce fût exactement ce qu'il fit, à ceci près qu'il en profita pour emporter le reste de pizza !


L'heure de déjeuner sonna aussi pour moi, et au cours du repas, les autres membres de la famille mis au courant de la situation, mi amusés, mi inquiets pour ma santé mentale, me firent des propositions de menu à l'intention de mon nouvel ami. Une assiette fut donc bientôt garnie de gras de jambon, croûtes de fromage, et autres peaux de bananes...


Le café avalé, je sentis quatre regards ironiques posés sur moi, attendant que j'apporte la preuve de mes talents de dresseur. J'enfilai donc mon gant de cuisine, choisis avec soin la plus belle couenne, et en avant pour la démonstration.


Je m'avançai jusqu'à quelques mètres de la branche où était perché Charly, puis me référant à des images de fauconnerie, je pris la pose, et attendis en espérant qu'il ne me laisserait pas tomber. Je ne fus pas déçu, car à peine eut-il aperçu la couenne, qu'il s'élança dans ma direction. Malheureusement, mon triomphe fût de courte durée, car j'avais omis un fait capital : un corbeau, comme tout ce qui vole, se pose toujours face au vent ! Aussi Charly survola son objectif, me contourna, et dominateur s'installa sur mon crâne. Devant l'hilarité de la famille provoquée par la situation, et malgré les pattes de l'oiseau agrippées à mon cuir chevelu, je souris bravement. Puis je tentai sournoisement d'attirer le volatile vers mon gant et le gras de jambon, loin de la peau de mon crâne ressemblant un peu trop à mon goût à une publicité subventionnée par Fleury-Michon.


Cette prestation bien qu'imparfaite, me valut les applaudissements discrets de la famille pourtant peu encline à la mansuétude. Charly juché sur mon poing et moi-même furent très touchés par cette marque de sympathie, et nous congratulâmes sans vergogne avec effusion. De cet instant, Charly vint faire des politesses et grignoter au moindre appel... jusqu'à ce triste dimanche-matin où m'étant couché un peu tard la veille au soir, je fus réveillé par un concert de coups de fusil : il faisait un temps superbe pour l'ouverture de la chasse…

 

 

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Commentaires: 1
  • #1

    l'Olivier du 06 (mardi, 03 novembre 2015 15:45)

    Une bien belle histoire ma foi
    en échange de quoi
    ci dessous trouvera
    un nouveau compagnon
    qui chaque année de bon ton
    vient ici faire sa maison