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Souvenirs d'enfance : la joute sur la rivière

Enfant, je rêvais de posséder une belle maquette de sinagot comme celle de mon oncle Thuriau. J'en mourais même d'envie ; aussi lorsque j'ai découvert qu'il l'avait construite lui-même, je n'ai eu de cesse de le harceler, de le supplier pour qu'il m'en fabrique également une.

Un jour enfin ce fut chose faite. A partir de ce jour, je me considérai comme l'Amiral du Fort Espagnol, maître du plus beau et du meilleur navire naviguant sur la rivière d'Auray.

Jean-Marie Pluart possédait lui aussi une maquette de voilier, construite peut-être de ses mains pendant les longues journées d'attente dans les ports de relâche lorsque le grand mauvais temps d'hiver balayait l'océan.

Car Jean-Marie était un ancien marin pêcheur qui avait roulé sa bosse du golfe de Gascogne à la mer du Nord : comme mousse à bord d'un forban du Bono, comme matelot sur les harenguiers de Boulogne et sur les chalutiers à vapeur de Lorient. Il était aussi un ancien de la guerre 14-18, fusilier-marin de la Brigade de l'Amiral Ronarch... Mais tout cela, c'est une autre histoire !

Entre Jean-Marie et moi, c'était exactement « le vieil homme et l'enfant » : une grande amitié et une belle complicité, surtout lorsqu'il s'agissait de choses de la mer ; et de la part de l'enfant, une bonne dose d'admiration pour le hardi marin !

D'ailleurs, Jean-Marie ne m'avait-il pas tiré plusieurs fois d'affaire, pour ne pas dire sauvé la vie, alors que je tentais d'embarquer dans quelque plate un peu trop éloignée de la rive ou que je me faisais surprendre, réfugié sur un petit rocher vite entouré puis submergé par la marée montante?


Parfois, trop rarement à mon goût, Jean-Marie m'interpellait ainsi :

« Alors Bernard, que dirais-tu d'une bonne joute sur la rivière au lieu de rester là à caboter le long des cailloux de la côte, à écraser les crabes comme on dit ? »

Sans doute, en bon loup de mer, avait-il calculé son affaire : une petite brise idéale pour nos deux voiliers, un moment proche d'une pleine mer de mortes-eaux pour éviter trop de courant et du soleil pour notre bien-être.

Car il s'agissait bien d'aller faire une régate au grand large, presque une course océanique, au beau milieu de la rivière d'Auray.

Alors l'excitation montait d'un cran et la préparation de nos coursiers allait grand train. Restait ensuite à rejoindre le port et attendre que « Les trois sœurs » soit à flot. Car ainsi s'appelait la plate de Jean-Marie, rien de plus normal puisqu'il avait trois filles. Son chaland creux, utilisé pour le travail ostréicole, s'appelait lui le  « Butor ». On m'avait expliqué qu'il s'agissait du nom d'un oiseau qui était réputé avoir mauvais caractère !

Bref, l'eau a bien monté, « Les trois sœurs » flotte, l'étale de pleine mer ne va plus tarder, il est temps d'appareiller.

En quelques coups d'aviron, Jean-Marie positionnait « Les trois sœurs » au meilleur endroit  pour dériver tranquillement sur la rivière pendant les manœuvres de mise à l'eau et de départ de course. Puis encore quelques petits coups d'aviron de temps en temps pour escorter nos deux clippers lancés dans une joute effrénée(joute est un terme de la vieille marine, encore usité à l'époque ; aujourd'hui on dirait plutôt match racing).

Nous étions les maîtres incontestés de la rivière et gare à qui aurait osé nous déranger! Il faut dire qu'à l'époque, en ces belles journées d'été, il n'y avait pas foule sur l'eau. Le plaçage des tuiles était achevé et les ostréiculteurs s'occupaient à l'entretien des embarcations et du matériel. Certains s'étaient embarqués pour les pêches saisonnières du thon et de la sardine qui donnaient alors à plein dans la région, d'autres aidaient aux grands travaux dans les fermes parentales. La plaisance n'existait pratiquement pas, à l'exception de quelques superbes yachts(on disait yaks)qui me faisaient rêver. Parfois un caboteur montait ou descendait de Saint-Goustan, qui connaissait encore une petite activité commerciale, surtout avec les poteaux de mines. Parmi ces caboteurs, on pouvait voir quelquefois des voiliers à trois mâts originaires d'Europe du Nord, encore de quoi rêver !

Je rêvais trop et Jean-Marie remportait régulièrement la joute. Ou peut-être savait-il mieux naviguer que moi ?



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Commentaires: 3
  • #1

    Thonthon (vendredi, 30 octobre 2015 17:04)

    C'est bien joli Bernard, mais tu ne nous dis pas comment se déroulaient ces régates ?
    Sur un bord ?
    Au près, vent de travers ?...
    La stabilité de route ? Une quille longue facilite les choses, mais quand même...
    Des détails, des détails...

    Quand j'étais jeune (très jeune), je faisais naviguer mon navire sur les bassins circulaires des jardins publics, ce qui limitait grandement le terrain de jeu, et donc les risques de perte.

  • #2

    Bernard CADUDAL (vendredi, 30 octobre 2015 20:03)

    J'vous jure, c'est pas moi qui bégaie ou alors p'tet qu'l' CD du webmaster est rayé ?

  • #3

    Tonton (samedi, 31 octobre 2015 00:05)

    Voilà, mon étourderie est réparée.
    Le webmaster se couvre la tête de cendres, et est prêt à passer sous les fourches caudines... mais pas trop basses quand-même, à cause de son vieux dos.
    Toutefois, on attend toujours les instructions de course de ces fameuses joutes.