· 

Souvenirs  d'enfance  :  Le  feu  à  Kergurset


C'est un bel après-midi de la fin juin. Il fait très, très beau; très, très chaud même.

Aussi l'activité est-elle intense dans les chantiers ostréicoles, profitant de ces conditions météorologiques idéales pour bien réussir le chaulage des tuiles. Un bon chaulage est le premier coup de pouce modeste que l'homme peut apporter à la nature pour espérer une bonne récolte de naissains la saison prochaine.

Il n'y a plus de temps à perdre car le temps estival de ces derniers jours accélère nettement le processus de ponte des huîtres dont on surveille chaque jour l'évolution(on pourrait dire la grossesse !).


Dans les fermes de Kercado comme de Kergurset, on s'active également, certainement aux foins que l'on espère pouvoir faner encore une fois et ramasser avant le retour des pluies. Pour sa part, la tante Louisette se souvient qu'elle était occupée à Kercado au sarclage et que le temps devenait lourd, très lourd, virant à l'orage. D'ailleurs on entendait par moment le tonnerre dans le lointain et celui-ci semblait se rapprocher.

Paysans de la mer comme paysans de la terre, du Fort Espagnol comme de Kercado et de Kergurset, tous se prennent alors à espérer(et secrètement invoquer Sainte Anne)que l'orage éclatera plus loin et ne viendra pas gâcher le fruit d'une dure journée de labeur.


Les garnements du Fort Espagnol sont eux tout particulièrement excités(on dirait aujourd'hui hyper-excités)par cette atmosphère électrique et font les fous à la "pointe" entre chez Jean Marie Pluart(1), la maison Collet(2)et le port.

C'est un terrain de jeu formidable car il n'y a à cette époque ni murs, ni haies, ni macadam. L'espace est herbeux et on y stocke les piquets de châtaignier commandés pour le plaçage des tuiles, tout comme les caisses à naissains ou à jeunes huîtres en attente de la prochaine saison. Autant d'empilements qui sont d'inexpugnables chateaux-forts ou encore d' invincibles vaisseaux de corsaires.


Mais sans doute a-t-on écarté tous ces garnements des chantiers ostréicoles pour qu'ils cessent d'être dans les jambes des travailleurs car le temps presse. Joséphine Collet a peut-être eu la charge de les surveiller.

Il y a, de mémoire, Bernard et Joël Cadudal, Yannick et Jacqueline Nicolas... surement quelques autres...Ce qui est certain c'est qu'ils font grand, grand tapage.

Et voilà que l'orage éclate, énorme et brutal. Joséphine, âme charitable, s'empresse de nous faire entrer dans sa maison et sans doute nous donne à goûter. Cela en tout cas ne suffit pas à arrêter le chahut qui se poursuit d'une pièce à l'autre de la maison au grand dam de Joséphine. Impossible de calmer ces petits diables !

Alors Joséphine évoque la grande colère du Bon Dieu qui manifeste son extrême mécontentement par de très forts grondements de tonnerre et ne va pas tarder à nous punir si nous n'arrêtons pas...


Quelqu'un est venu donner l'alerte : le tonnerre est tombé et il y a le feu à Kergurset !

Soudain calmés par l'expression grave des adultes, nous rejoignons le chantier Collet d'où l'on voit le hameau de Kergurset. Une grande colonne de fumée noire monte au-dessus des maisons et les flammes sont par moment très vives.

Impossible de préciser exactement quelle maison est touchée. François Pendu et Marcel Cadudal, mon père, courent le long de la côte autour de la baie de Kercado pour porter secours. François Pendu a sa maison à Kergurset et d'après la position du sinistre, ce pourrait être la sienne qui brûle...

Est-ce la punition du Bon Dieu annoncée par Joséphine Collet ?

C'est la chaumière de Pierre Le Port qui a été frappée par la foudre et qui va partir en fumée... car les moyens de lutte sont inexistants et l'attente des pompiers paraît interminable. Ceux-ci sont obligés de tirer des tuyaux jusqu'au bord de côte en contrebas où il y a une fontaine qui est bien vite à sec et la marée n'est pas favorable.


Un désastre! On s'est occupé de sauver ce qui pouvait l'être et en particulier de mettre les bêtes en sécurité. Ainsi Louisette a vu arriver à Kercado Eugène Mallet conduisant chez Adrien Audran (beau-frère de Pierre Le Port) la "vieille jument aveugle mais qui travaillait toujours très bien".


En quelle année cela se passait-il ? Sans doute dans l'une des toutes premières années 1950.


Bernard Cadudal, mémoire du Fort Espagnol



NB- Des noms sont cités aussi toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé n'est pas fortuite.


(1) la célèbre maison dite "de la Blonde"

(2) la maison de Patricia et Thierry


 



Écrire commentaire

Commentaires: 5
  • #1

    L'allumé du 11... (samedi, 24 octobre 2015 15:56)

    Merci Bernard pour ce joli texte.

  • #2

    Benoit madec (samedi, 24 octobre 2015 17:23)

    La"maison de la bonde", célèbre amer connu de tous ici....

  • #3

    L'allumé du 11... (samedi, 24 octobre 2015 18:29)

    Que l'on m'explique !
    De la "blonde" ?
    De la "bonde" ?
    De la "bonde de la blonde" ?
    De "la mère de la blonde" ?
    De "l'amère blonde" ?
    Expliquez-moi, je m'y perds, je n'étais pas là, moi !

  • #4

    Benoit madec (samedi, 24 octobre 2015)

    De la blonde pardon.... Faute de frappe

  • #5

    Yves kergosien (dimanche, 25 octobre 2015 18:07)

    Le ton est juste, l'ambiance à la fois grave, mais sereine est bien restituée.
    Nos préoccupations d'aujourd'hui semblent bien futiles au regard des soucis du quotidien de cette période que j'ai vécue.
    Merci pour cette évocation.